Lors de la dernière édition de ComptaTech, nous avons accueilli Luca Pulli, associé et Directeur Innovation chez RSM Italie, et Laurent Lamoureux, associé et Directeur du métier Expertise comptable chez BDO. Ensemble, nous avons exploré les transformations apportées par la facture électronique à l’international, et notamment en Italie. Regardez la table ronde en replay, ou bien lisez la synthèse de nos échanges ci-dessous.
Origine et adoption de la facture électronique
L’expansion progressive de la facture électronique dans le monde depuis quelques années ne découle pas d’une soudaine maturité technologique : la facture électronique est en effet apparue dans les années 1970, avec le format EDI. À l’époque, elle coûtait cependant très cher, et l’administration fiscale n’a pas encouragé son adoption. Elle a donc rapidement été abandonnée.
C’est en 2004-2005 que deux grandes régions du monde ont accéléré l’adoption de la facture électronique :
Les pays scandinaves
Pour les pays scandinaves, l’intérêt premier de l’adoption de la facture électronique réside dans la fluidification de l’économie, la simplification des tâches administratives et les bénéfices commerciaux pour les entreprises.
Les entreprises y ont vu leur intérêt et l’ont donc bien adopté, même lorsqu’elle n’avait aucun caractère obligatoire.
L’Amérique latine
En Amérique latine, la problématique était toute autre : la fraude et l’évasion fiscales ainsi que la fraude à la TVA atteignaient des montants colossaux. Dans ces régions, la facture électronique était au départ essentiellement un moyen de juguler cette fraude.
Les États ont donc dirigé l’adoption de la facture électronique, rendue obligatoire. Ils se sont impliqués dans le choix du système technologique ainsi que dans le contrôle de la facturation.
Chaque facture émise doit ainsi être soumise à l’approbation du gouvernement dans le système (ce qui se fait immédiatement). Le contrôle consiste à valider pour chaque opération que le fournisseur et le client sont enregistrés, immatriculés et passent par le système officiel, pour une traçabilité totale de l’opération.
Les motivations de l’Italie
L’Italie, elle, a rendue la facture électronique progressivement obligatoire en 2019. Voici selon Luca Pulli les objectifs qui ont motivé l’État italien :
Lutter contre l’évasion et la fraude fiscales
Accélérer le processus de récupération de la TVA
Augmenter le niveau de digitalisation du pays
Contrôler les dépenses publiques
Zoom sur le calendrier italien :
- Janvier 2019 : présentation de la réforme qui introduit l'obligation de la facturation électronique
- Juillet 2019 : obligation de réception pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 400k€, y compris en magasin (tickets de caisse)
- Janvier 2020 : obligation généralisée pour toutes les entreprises
- 2022 : élargissement aux factures étrangères
- Prochaine étape (date inconnue) : déclarations de TVA pré-remplies par l’administration fiscale
Retour d’expérience : la facture électronique en Italie
Fonctionnement de la facture électronique en Italie
En Italie, la facturation électronique fonctionne en 3 étapes :
L’entreprise ou son cabinet d’expertise comptable envoie automatiquement la facture électronique au système de gestion géré par le fisc italien (système appelé SDI) depuis son logiciel de gestion et de comptabilité
Le fisc réalise des contrôles formels immédiats sur la facture
La facture est livrée au destinataire
À noter que le SDI n’a pas un rôle administratif et ne peut donc pas être utilisé pour archiver la facture. L’archivage reste donc à la charge de l’entreprise.
Résultats de la mise en place de la facture électronique
Pour l’administration, dès la première année, les résultats sont là : en 2020, malgré la pandémie de covid et l’importante baisse de PIB qu’elle a engendrée au niveau national, l’Italie a récupéré 3,5 milliards d’euro de TVA, contre 2 milliards d’euro en 2019.
Le montant total des transactions enregistrées a également augmenté de 123 milliards d'euros.
Comment les entreprises italiennes se sont préparées
Luca Pulli l’avoue volontiers : les débuts ont été compliqués pour les entreprises, qui se sont un peu trop reposés sur les logiciels spécialisés, alors que l’adoption de la facturation électronique nécessite avant tout de redéfinir ses procédures internes pour les automatiser au maximum.
Face au retard pris par les entreprises, pendant les six premiers mois le fisc n’a pas appliqué les pénalités prévues initialement.
Les logiciels, eux, étaient fonctionnels à temps et ont été proposés à des prix relativement bas aux entreprises.
Profitez donc du temps dont nous disposons en France pour anticiper : soyez pédagogues auprès de vos clients et aidez-les à analyser et transformer leurs processus de vente. En vous y prenant dès maintenant, vous pourrez profiter plus vite des gains de productivité promis par la facturation électronique ! Voici quelques ressources pour vous y aider.
Quel impact sur la profession comptable ailleurs dans le monde ?
L’impact global de la facture électronique sur l’expertise comptable
Dans tous les pays dans lesquels elle a été mise en place, la facturation électronique a d’abord entraîné pour les cabinets un pic de missions de transition ou d’accompagnement au changement. En Espagne par exemple, pendant un an, ce sont les experts-comptables qui ont scanné les factures et les ont déclarées à l’État.
Ces missions transitoires sont intéressantes et indispensables, mais par nature éphémères. Il est donc nécessaire pour la profession de se transformer pour conserver une activité durable.
Dans les pays d’Europe du Nord, aujourd’hui, toutes les entreprises disposent d’une solution comptable dont elles partagent l’accès à leur expert-comptable. Le quotidien des collaborateurs change donc puisqu’ils vont, en fonction de leur client, se connecter à 5 ou 6 systèmes différents tout au long de la semaine.
Par ailleurs, la facture électronique a encouragé l’arrivée de nouveaux concurrents : les comptables 100 % en ligne bien sûr, qui séduisent les plus petites entreprises par leur coût avantageux, mais aussi les banques, qui commencent à proposer la tenue des comptes gratuitement.
La question de la valeur ajoutée des cabinets se pose alors. Conseil de Laurent Lamoureux : réfléchissez dès à présent à la valeur ajoutée que vous voulez apporter à vos clients et nourrissez la relation que vous entretenez avec eux.
La réaction de la profession comptable en Italie
Selon Luca Pulli, la facture électronique obligatoire a profondément changé les rapports entre les cabinets et les clients en Italie.
C’est toute l’organisation des cabinets qui a été touchée. Là où auparavant, dans la plupart des cabinets, les collaborateurs suivaient chacun de leurs dossiers de A à Z, la facturation électronique a permis de rendre l’organisation plus flexible : les collaborateurs les plus juniors se consacrent à la saisie, tandis que les autres tentent d’apporter plus de valeur à l’entreprise, en travaillant par exemple sur du contrôle de gestion. La qualité et l’analyse des données en général deviennent des points majeurs de l’accompagnement.
En bref, les cabinets les plus réactifs deviennent des cabinets de conseil. En rendez-vous client, les experts-comptables ne parlent plus de comptabilité ou de fiscalité, mais plutôt de stratégie, de contrôle de gestion, d’organisation, puis de contrôle de gestion. Avant en dernier lieu de faire un rapide point la partie comptable et fiscale. C’est donc un important changement culturel qui a eu lieu.
D’autant que cette réinvention du métier a nécessité de mettre les mains également dans l’organisation interne du cabinet. L’expertise des équipes a beaucoup évolué, et le recrutement n’est plus axé sur les mêmes compétences : les cabinets privilégient désormais les soft skills, comme l’empathie ou la capacité et résoudre des problèmes.
Et après ?
En observant ce qu’il se passe dans les pays où la facturation électronique est déjà bien en place, on peut imaginer les prochaines étapes de la réforme en France.
Pour commencer, il est probable que les différents systèmes nationaux s’accordent pour mettre leurs factures en conformité les unes avec les autres, ce qui permettra de remplir et prélever automatiquement les formalités et taxes douanières.
Au Danemark, l’administration prépare pour 2024 une comptabilité électronique complète : les experts-comptables vont digitaliser la comptabilité des entreprises dans un format officiel grâce à des outils agréés par l’État. Selon Laurent Lamoureux, c’est une étape qui devrait vite arriver en France. La transformation du métier n’est pas prête de s’arrêter !
Conclusion
La facturation électronique promet donc à l’expertise comptable des missions passionnantes ainsi qu’une meilleure productivité. Alors pour en bénéficier, mieux vaut ne pas attendre et préparer la transition dès maintenant. Parlez-en entre experts-comptables et en interne pour bénéficier de l’expérience de chacun. Et bien sûr, suivez les actualités de Pennylane : nous continuerons à vous tenir au courant de l’avancée de la réforme et du marché !